De la couvrure à la tranche : l’essentiel du vocabulaire de la reliure pour impressionner en salle de lecture !

Lorsque l’on parle des livres, toute une terminologie est à connaître et maîtriser pour parler le langage universel de la reliure.
Pour les ateliers patrimoniaux du SCDI de Montpellier, où la manipulation des documents précieux est quotidienne, la maîtrise de ce langage est indispensable pour décrire l’objet, identifier les maux dont il souffre, définir les traitements à mettre en œuvre et rendre compte précisément de ceux-ci.
Le présent article reprend les explications données en 2022 lors de la publication d’une série de 10 billets Facebook sur la page Conserver & Valoriser – la page du SCDI de Montpellier (#terminologiedelareliureSCDI).
Mais de quoi parle-t-on ?
Du latin ligare ou religare, la reliure est l’art qui consiste à plier des feuilles pour constituer des cahiers et de lier ces derniers entre eux pour obtenir un ensemble aussi appelé bloc-texte.
1. Commençons par un peu de géolocalisation
Savez-vous que le haut d’un livre est appelé la tête ? Que le bas est la queue ?
C’est par le dos du livre que vous l’admirez en premier sur votre rayonnage de bibliothèque. Couvert de cuir, de parchemin, de toile ou de papier, il est dit long lorsque qu’il est complètement lisse, et à nerfs lorsqu’il comporte des petites excroissances. Le dos est souvent habillé d’un titrage et de décors réalisés en dorure.

Figure 1 : Vocabulaire du livre #1.

Figure 2 : Vocabulaire du livre #2.
À l’opposé du dos, pas de ventre mais une tranche de gouttière, nommée ainsi en raison de sa forme courbe !
Les tranches de tête, de queue ou la gouttière peuvent, elles aussi, être décorées : dorées à la feuille d’or, peintes ou même ciselées.

Figure 3 : Ouvrages aux tranches décorées et ciselées.
Pour la majorité des lecteurs, il ne fait aucun doute que les deux parties plus rigides protégeant les pages d’un livre sont appelées la/les couverture(s). Ce terme généraliste, propre au milieu de l’édition, n’existe pas dans le monde du livre relié. Ainsi, vous entendrez peut-être avec surprise les termes de plat et parfois même d’ais.
Les plats désignent les deux cartons enserrant le bloc-texte. Celui que l’on trouve au début du livre est appelé plat supérieur, celui qui se situe à la fin d’un livre, plat inférieur. Et le verso d’un plat se nomme, tout simplement : contre-plat !

Figure 4 : Vocabulaire du livre #3.
Si le plat est en bois, dans le cas des reliures médiévales par exemple, il s’appelle alors un ais . Les essences de bois varient selon les zones géographiques. Les reliures françaises comportent généralement des ais de chêne, mais également à de plus rares occasions de hêtre ou encore de peuplier, etc.

Figure 5 : Gros plan sur un ais de bois. Manuscrit H7 tome 2, BUHM, Université de Montpellier.
Pour chaque plat, deux coins (angles des plats) sont particulièrement fragiles : les coins situés en gouttière, que l’on appelle de manière « concise » : coin du plat supérieur en tête ou en queue, coin du plat inférieur en tête ou en queue. Ces coins peuvent subir toutes sortes de dégradations. De la bonne manipulation de l’ouvrage, dépendra donc leur bonne conservation.

Figure 6 : Les coins, en 1ère ligne des dégradations : quelques exemples choisis. (1 et 2 : couvrures usées et lacunaires, 3 : cartons émoussés, 4 : bois mangé par les insectes, 5 : coin lacunaire dans sa totalité).
La chasse n’a rien à voir avec l’activité qui consiste à poursuivre des animaux avec son fusil ! En reliure, elle désigne la partie du plat dépassant par rapport aux pages, soit 3 à 5 mm de carton de plus (ou de bois pour les ais – si vous nous suivez encore…). C’est subtil mais ça a son importance ! Car la chasse se retrouve tout autour du bloc-texte, en tête, gouttière et queue, et le protège des frottements et des coups.
Le chant désigne, quant à lui, non pas le doux son produit par une chimère qui va vous perdre dans les méandres de cet article, mais l’épaisseur du plat ou de l’ais.
Chasses comme chants peuvent être ornés de décors pour donner un aspect précieux à la reliure.

Figure 7 : Gros plan sur le chant et la chasse d’un livre décoré au moyen d’une dorure. La chasse est ornée d’un motif végétal alors que le chant est souligné par un filet doré.
2. L’habit fait-il le moine ?
Passons justement à cet aspect décoratif qui fait la réputation de l’art de la reliure.
Tel le restaurateur qui procédera à la description de l’ouvrage, partons à la découverte des termes pour décrire la couvrure qui caractérise l’aspect extérieur et fait la singularité de chaque ouvrage relié.
Couvrure, telle est le nom donné aux ultimes étapes du travail de reliure. L’opération principale consiste à recouvrir les plats et le dos du livre d’un matériau de garnissage qui servira à les protéger. Cet habillage peut être fait de cuir, de parchemin, de papier, de simple toile ou de riche étoffe, selon la richesse du commanditaire et la destination de l’ouvrage.
Pour briller auprès de vos invités, lors des salons que vous organisez dans votre bibliothèque (si, si, un peu d’imagination !), sachez que rien ne vaut une reliure entièrement couverte d’un même matériau, noble de préférence. La couvrure sera alors dite en plein. Les reliures plein-cuir ou plein-parchemin seront parfaites pour éblouir votre public ! Pour plus d’ostentation, la reliure d’étoffe est le must-have ! Et si elle est associée à des pierres précieuses ou des plaques d’ivoire, plus personne ne pourra contester le faste et le bon goût dont vous faites preuve.
Cependant si votre folie des grandeurs n’est pas compatible avec votre compte en banque, sachez qu’il existe des demi-reliures. Le livre est alors couvert d’un matériau noble sur le dos et d’un autre plus courant sur les plats. Les reliures demi-cuir ou demi-parchemin sont moins coûteuses que les pleines reliures et du plus bel effet dans une bibliothèque… Du moment que vous ne sortez pas les livres de leurs étagères !
En revanche, n’espérez pas éblouir qui que ce soit avec les reliures dites courantes, couvertes de toile ou de papier. La reliure, tout comme la mode, est cruelle ! Le bon goût a un prix !

Figure 8 : Quelques exemple de couvrures. 1 : reliure plein velours bleu avec fermoirs ornés d’émaux, 2 : pleine peau décors à la dorure, 3 : reliure en demi-parchemin et papiers dominotés sur les plats, 4 : reliure de brochure recouverte de papier dominoté, 5 : reliure dite « courante », pleine toile.
Autre information, qui va peut-être vous surprendre : au Moyen Âge, les livres sont conservés à plat, et non debout comme nous avons l’habitude de le faire de nos jours. Afin de les protéger des frottements, des éléments métalliques sont donc ajoutés à la reliure aux endroits les plus exposés. Ainsi les coins et les chants des ais sont recouverts d’une pièce métallique épousant leur forme, appelée cornières. De même des clous à tête bombée sont répartis sur la reliure. On leur attribue diverses dénominations : cabochons, boulons ou bouillons. Quelque fois, un gros cabochon central est présent, on le nomme alors ombilic.
Les fermoirs sont, quant à eux, des éléments permettant d’attacher ensemble les deux ais d’un volume de façon à le maintenir solidement fermé. Cette nécessité s’explique par le comportement des matériaux employés comme support de l’écrit : en effet, le parchemin se déforme facilement dès qu’il est exposé à l’humidité. Il faut donc pouvoir le contraindre pour que les pages restent les plus planes possibles.
Avec l’évolution des techniques et des matériaux de reliure, ces éléments métalliques ont progressivement cédé leur rôle fonctionnel à une fonction purement décorative, marquant l’imaginaire collectif. Il n’est donc pas surprenant de trouver un livre au bloc-texte récent comportant des fermoirs pour « faire plus âgé » !

Figure 9 : Vocabulaire du livre #3.

Figure 10 : Exemple de cabochons et ombilic et fermoir. Manuscrit de recueil de textes latins des 12-13e siècles, H4, BUHM, Université de Montpellier.
Parmi ces éléments au rôle fonctionnel devenu décoratif, vous trouverez également la tranchefile. Cette petite broderie en fil de lin ou de soie située en tête et en queue du livre, dans le prolongement du dos, lorsqu’elle est réalisée à la main, peut être une véritable petite œuvre d’art. En témoignent les images issues de nos collections.

Figure 11 : Florilège de tranchefiles de formes et couleurs différentes issues des collections patrimoniales universitaires Montpelliéraines.
Qu’elles soient pékinées, islamiques ou à chapiteaux, les tranchefiles sont brodées directement sur le bloc-texte et reposent généralement sur un support, appelé âme, constitué d’un lacet de cuir, d’un bâtonnet de papier ou d’un morceau de ficelle.
Avant de courir fouiller votre bibliothèque à la recherche de ces merveilles, sachez qu’il existe également des tranchefiles fabriquées mécaniquement et que de nombreux ouvrages en sont « affublés ». Ne vous y méprenez pas, ces tranchefiles mécaniques, aussi appelées comètes, n’ont rien à voir avec leurs aînées ! Elles se présentent sous forme de ruban, que l’on coupe aux ciseaux, pour ensuite les coller directement sur le dos, avant de couvrir le livre. En bref : vite fait, bien fait, mais le charme de la haute couture en moins !

Figure 12 : Tranchefile brodée à la main à gauche, comète en ruban, ou tranchefile mécanique à droite.
Pour aller plus loin, sachez que les tranchefiles sont généralement coiffées d’une petite excroissance de cuir. Il s’agit en fait d’une partie du cuir couvrant le dos qui est replié sur la tranchefile afin de la protéger. Ces coiffes, car c’est bien là le terme technique, vont par deux : à ce stade de votre lecture, vous localiserez maintenant sans peine la coiffe de tête et la coiffe de queue !
Dernier élément visible de l’extérieur que tout amateur de reliure se doit de savoir nommer : chaque ouvrage dispose de deux mors. Ne vous méprenez pas, le relieur ne cherche pas à vous mettre à l’équitation. Le mors en reliure est en fait la partie articulée de l’ouvrage relié, entre le dos et le plat du livre. Pour vous aider à le repérer : lorsque l’on ouvre le livre, un pli se forme à l’emplacement du mors. Cette articulation peut aussi être appelée charnière.
Le mors, ou la charnière, visible lorsque le livre est fermé est dit externe. A l’opposé, lorsque le livre est ouvert, on peut voir le mors interne… du plat supérieur ou du plat inférieur (vous commencez à comprendre…).
Le mors, parce qu’il est mobile, est une partie particulièrement fragile de la reliure. En salle de lecture, pensez donc à le manipuler avec précaution et à ne pas ouvrir en grand la reliure. En général, un angle d’ouverture de 90° est à privilégier. Mais rassurez-vous : aucun livre ne mord ! Enfin, en théorie !
Soulevez le plat supérieur d’un ouvrage et attention les yeux ! Les gardes peuvent être hautes en couleurs ! Rien à voir avec la Garde Républicaine…. Mais d’abord, qu’est-ce encore que ce terme en reliure ?
On appelle garde d’un livre, le feuillet ou bifeuillet de protection placé au tout début et à la toute fin d’un ouvrage. Le feuillet de garde collé sur le contre-plat s’appelle… la contre-garde (on reste logique). Et le feuillet libre en regard, la garde volante (d’accord, là c’est un peu plus farfelu mais en même temps très logique si on y réfléchit !).

Figure 13 : Vocabulaire du livre #4.
Les matériaux de gardes peuvent être assez variés : parchemin, papier, voire cuir ou même textile. La majorité des gardes que vous rencontrerez en salle de lecture sont en papier : blanc, coloré, uni ou à motifs, il y en a pour tous les goûts !

Figure 14 : Florilège de gardes. Papiers marbrés de teintes et de motifs différents, parchemin ou tissus, voici quelques exemples que l’on peut retrouver dans les collections patrimoniales documentaires des universités de Montpellier.
3. Et sous la cape ? Brève anatomie livresque
Mais déshabillons un peu ce livre relié… Tous ces éléments précédemment présentés, plus ou moins d’apparats, font sans conteste la beauté de cet objet si particulier qu’est le livre. Mais toute une partie du génie qu’il renferme se trouve dissimulé, insoupçonné de l’innocent lecteur qui le manipule…
La structure de la reliure, sorte de colonne vertébrale articulée, est le vrai génie du maître relieur.
Vous avez peut-être déjà entendu en salle de lecture les termes de cahier, feuillet, folio voire même bifeuillet ou bi-folio sans en saisir pleinement le sens… Après tout on ne parle ici que des pages ! Démystifions tout ça !
Le bloc-texte, comme nous l’avons dit précédemment, c’est-à-dire l’ensemble des pages d’un livre, est composé de plusieurs cahiers.
Pour former un cahier, rien de plus simple : on part d’une grande feuille à plat, dite in-plano, que l’on plie en deux : on obtient alors ce que l’on appelle un bifeuillet, ou bi-folio (ces deux termes sont synonymes). On peut alors s’arrêter là, avec notre cahier en bifeuillet, ou continuer à plier, en quatre, en six, en huit, etc. L’opération est répétée pour chaque cahier du bloc-texte, leur nombre est très variable selon les ouvrages et la longueur du texte. Sachez qu’il existe des noms spécifiques pour chaque cahier selon le nombre de plis réalisés (in-quarto, in-octavo, in-plano, etc.).
Et la page dans tout ça ? Si le terme désigne seulement un côté du rectangle de papier, le feuillet ou folio renvoie aux deux faces, soit la page 1 et 2 par exemple. Ainsi un bifeuillet comporte 4 pages.
Passons maintenant aux choses sérieuses : les cahiers, comprenez de grandes feuilles de papier pliées, liées entre elles par une couture. Et là encore, quelles variétés !

Figure 15 : Les différentes étapes de la constitution du bloc-texte.
En France, depuis XIe siècle, la couture est réalisée sur un métier appelé cousoir. On installe sur le cousoir des supports de couture, à la verticale, sur lesquels la couture va venir s’appuyer. Le nombre de supports varie généralement de 3 à 6, en fonction de la dimension de l’ouvrage. Leur nature est également assez variée : lanières de cuir, ficelles de chanvre, ou encore ruban textile.

Figure 16 : Les cahiers sont cousus successivement sur le cousoir pour former le bloc-texte.
Une fois les supports bien tendus, le premier cahier est placé derrière, côté pli visible. Un fil de lin ou de chanvre est passé au travers du cahier, à l’aide d’une aiguille, le liant aux supports de couture. Une fois le premier cahier cousu, on passe au suivant avec le même fil afin de lier également les cahiers entre eux. L’opération est répétée pour chaque cahier.
Il existe une très large palette de coutures, selon les époques et les zones géographiques. Et comme une image vaut mieux que mille mots, nous vous avons préparé un petit florilège issu des collections des universités de Montpellier.
Une fois le bloc-texte assemblé, c’est-à-dire l’ensemble des cahiers cousus ensemble, les supports de couture peuvent aider à assembler les plats et le bloc texte. On parle alors de passure en ais ou de passure en cartons.
Mais attention, attentif lecteur, toutes les reliures ne sont pas passées… Ce serait trop simple… Un choc de simplification moderne de la reliure a donné naissance à une autre forme de reliure : les reliures par emboitage. Dans ce cas, les supports sont coupés à ras du bloc-texte et l’ouvrage sera emboité par le collage des gardes sur les contre-plats.
Par ce billet Hypothèses, nous avons voulu vous démontrer que la reliure est un subtil mélange entre prouesses technologiques et finesse esthétique. Lorsque l’on regarde le livre de près, on constate que sa forme a évolué au fil des siècles selon les goûts des bibliophiles et la dextérité des maîtres relieurs.
Aujourd’hui cet art est en péril car il y a de moins en moins d’artisans relieurs. Nous espérons que la série Facebook et cet article auront suscité de la curiosité et qui sait… Peut-être des vocations…
Et que vous pourrez impressionner en salle de lecture :

Pour aller plus loin :
- Visionnez la vidéo qui présente les étapes d’un type de reliure : celui d’un ouvrage imprimé sur papier au 16e siècle. Description des différentes étapes : depuis la préparation des cahiers, la couture, l’encollage jusqu’à la couvrure du livre. Cette vidéo pédagogique a été conçue par Catherine Charles, restauratrice de livres anciens à la Bibliothèque Universitaire Moretus Plantin (Université de Namur), Belgique.
- Visitez la page de la BnF pour voir la diversité de la création artistique qui s’est jouée autour du livre depuis des siècles : http://classes.bnf.fr/pdf/reliure.pdf
- Lisez le Manuel Roret du relieur, mis à disposition par le moulin du verger pour comprendre toutes les étapes de la reliure : https://www.moulinduverger.com/reliure-manuelle/roret.php
- Ou encore découvrez les collections patrimoniales documentaires de Montpellier sur notre bibliothèque numérique patrimoniale Foli@.
Anne-Sophie GAGNAL (d’après le travail débuté en 2021 par Laury GRARD, restauratrice-conservatrice – ancien personnel des ateliers).
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Anne-Sophie Gagnal (29 janvier 2025). De la couvrure à la tranche : l’essentiel du vocabulaire de la reliure pour impressionner en salle de lecture ! Ex Bibliotheca. Consulté le 14 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/137xp