La numérisation des microfilms des BU de Montpellier : un projet au service de la valorisation

La reproduction des ouvrages et documents patrimoniaux des BU de Montpellier (anciennement regroupées en BIU, Bibliothèque interuniversitaire) sur des microfilms 35mm a été effectuée entièrement par la photographe de la BIU, Béatrice Py, entre le milieu des années 1980 et le début des années 2000 et soutenue matériellement par l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes (IRHT – CNRS) à partir de 1996. Cette reproduction s’est principalement axée sur les fonds anciens de la Bibliothèque universitaire historique de médecine (BUHM), connue et reconnue pour sa collection de manuscrits médiévaux, mais aussi d’incunables et d’imprimés anciens. Dans une autre mesure au sein des microfilms, on y trouve aussi des imprimés anciens, un fonds sur Jean Cocteau ainsi qu’un fonds d’archives de Vacher de la Pouge issus des collections de la bibliothèque de l’Université Paul-Valéry.
La finalité principale de ces microfilms a été la diffusion au public de ces ouvrages précieux et fragiles. À partir des années 2010, l’atelier de photographie a évolué vers la numérisation pour reproduire ces fonds patrimoniaux à l’aide d’un scanner dédié. Les ouvrages qui avaient été microfilmés plusieurs années auparavant sont donc repassés par cette étape de la reproduction patrimoniale, en remplaçant cette fois-ci les grains d’argent en niveaux de gris par des pixels en RVB. Bien entendu, le besoin de diffusion de ces ouvrages au public est resté. Toutefois la consultation n’est plus seulement possible en salle de lecture, mais à distance depuis l’écran de son ordinateur via notre bibliothèque numérique Foli@.


Identification des microfilms à numériser
Au-delà du passage de l’argentique au numérique, les pratiques de reproduction et de conservation ont aussi évolué vers une plus grande attention portée à l’intégrité du document. L’intervention de l’atelier de conservation-restauration sur ces ouvrages est devenue essentielle afin de limiter les risques de dégradations, tels que des médias instables, des déchirures ou encore des encres perforantes. Mais il peut arriver aussi qu’un ouvrage ait été restauré après sa reproduction sur un microfilm et que la nouvelle reliure, trop serrée, ne nous permette pas d’ouvrir le livre assez pour le numériser. Dans les deux cas de figure, une intervention de l’atelier de conservation-restauration est nécessaire afin de garantir l’intégrité de l’ouvrage lors de sa numérisation.
Pour permettre une diffusion sans attendre dans la bibliothèque numérique patrimoniale, nous avons donc décidé de numériser les microfilms, dans l’objectif de les remplacer par les numérisations directes des ouvrages au fur et à mesure de leur réalisation. Nous avons identifié presque 600 documents ayant été microfilmés (pour un total de 534 bobines) et, pour un grand nombre d’entre eux, non numérisables sans un passage à l’atelier de conservation-restauration du SCDI. Ces numérisations pourront donc enrichir grandement Foli@ en publiant quasiment l’intégralité des manuscrits de la BUHM et pour le deuxième lot quelques incunables et le fonds des anciens registres de l’université de médecine dont certains remontent à 1340.
Ce projet prenait donc une dimension importante au vu des enjeux et du nombre de cotes à numériser qui allait représenter près de 90 000 images à mettre en ligne. Une autre utilité de la numérisation de ces microfilms était l’aspect documentaire sur ces collections, témoignant de l’état de l’ouvrage au moment de sa reproduction. Ces images permettront à l’atelier de conservation-restauration d’en savoir plus sur des restaurations qui étaient parfois d’ordre cosmétique, mais aussi de voir l’évolution de certaines dégradations. C’est donc pourquoi il fut aussi décidé de numériser les microfilms d’ouvrages ayant aussi fait l’objet d’une numérisation directe, soit plus de 60 000 images destinées à faire partie d’un deuxième lot de numérisation.

À la recherche de la meilleure solution
Nous voici donc avec plusieurs centaines de microfilms à numériser, mais par quel moyen ? Là était toute la question.
Deux solutions s’offraient à nous, acquérir un scanner à microfilm ou envoyer ces microfilms chez un prestataire. Ces deux solutions offraient leurs avantages et leurs inconvénients et nous nous sommes penchés dans un premier temps vers l’achat d’un scanner à microfilm, sans trop non plus connaître en détail les types d’appareils disponibles ni leur coût.
Les appareils les plus basiques, comme ceux que l’on peut trouver dans les salles de lecture, sont plus conçus comme des lecteurs de micrographie reliés à un ordinateur, offrant aussi la possibilité de numériser les vues de son choix pour un prix allant d’environ 8 000 euros à 13 000 euros. Ces appareils ne permettent pas une numérisation de masse avec une détection automatique fiable des vues, il faut presque vérifier chaque vue lors de la capture, ce qui semblait au final compliqué au vu du nombre de bobines à numériser.
L’achat d’un scanner d’une gamme supérieure fut aussi envisagé, qui lui permettait de numériser beaucoup plus rapidement, mais son coût était trois à quatre fois celui des scanners évoqués précédemment. De plus, une fois le projet terminé, que serait devenu ce lecteur/numériseur de micrographies… ? Cette solution, qui à première vue nous semblait la bonne, n’était pas du tout adaptée à notre projet.
La solution de location a été aussi explorée, mais les tarifs pour un numériseur de micrographie de qualité sur une longue période sont également très élevés. Elle fut donc elle aussi abandonnée.
Nous nous sommes donc tournés vers une prestation externe pour numériser le premier lot de 534 bobines, en privilégiant donc uniquement les manuscrits de la BUHM qui n’avaient pas été numérisés en couleurs. Mais avant d’envoyer nos microfilms chez le prestataire, bien d’autres étapes étaient essentielles à ce projet.
Constat d’état du fonds de microfilms
Nous nous sommes donc lancés dans une prestation externe. Dans un premier temps, nous avons procédé au récolement des microfilms ainsi qu’au dépoussiérage des bobines et des boîtes de conservation. Mais l’étape la plus importante avant l’envoi chez le prestataire est le contrôle de l’état physique ainsi que la qualité de la reproduction sur ces microfilms.
Ce contrôle permet de prendre connaissance de l’état de conservation des microfilms ainsi que de demander des ajustements lors de la numérisation, toujours dans l’optique de restituer au mieux le contenu intellectuel de l’ouvrage reproduit. Afin de procéder à ce contrôle, nous avons utilisé un lecteur de microfilm d’ancienne génération, doté directement d’un écran à la disposition des lecteurs à la BU Droit de Montpellier.
Il faut d’abord vérifier le rendu visuel, qui dépend bien entendu de la qualité de la prise de vue, avec l’exposition, le contraste ainsi que la netteté. Une charte de niveau de gris ainsi qu’une pour la netteté au début de l’ouvrage reproduit permettent de facilement évaluer ceci.
Suite à la vérification de la reproduction grâce à ces chartes, il faut visionner la suite de cette reproduction afin de repérer des particularités telles que des annotations manuscrites, la présence d’enluminures ou d’illustrations ainsi que des encres estompées. Ces différentes particularités sont repérées afin d’appliquer des améliorations directement lors de la numérisation pour offrir une meilleure lecture du contenu, comme par exemple en augmentant la résolution de l’image pour des annotations manuscrites souvent en petite taille. Mais aussi en augmentant le contraste pour permettre une meilleure lecture des écritures estompées ou au contraire en le réduisant s’il y a la présence d’enluminures afin de garder différents tons de gris pour illustrer au mieux la variation de couleur. L’ajout d’accentuation permet également de rendre plus visibles des détails ou des petites écritures.
Ce visionnage des vues du microfilm peut se faire à différentes granularités. Pour notre cas, nous avons regardé plusieurs dizaines de vues sur la bobine de manière aléatoire jusqu’à sa fin. Cela nous a permis d’avoir une idée assez précise du contenu reproduit ainsi que des particularités du document afin d’y appliquer les améliorations précédemment citées.
C’est aussi lors de ce passage en revue des microfilms que nous avons sélectionné plusieurs d’entre eux pour la phase de test. Ils devaient représenter les différentes typologies de documents auxquelles le prestataire serait confronté et d’y appliquer les améliorations citées.

Ce contrôle permet aussi de repérer des altérations de l’émulsion du microfilm et nous avons identifié trois types d’altération. Une première pouvant s’apparenter à des miroirs d’argent que l’on retrouve souvent sur des plaques de verre photographiques, une deuxième présentant des taches brunes de tailles variables et une troisième plus connue par les photographes pratiquants l’argentique, avec un film ayant une teinte rosée due à une mauvaise fixation lors du développement du microfilm. Cependant, ces altérations restant encore mineures, elles n’ont quasiment en rien influé sur la qualité du rendu des numérisations. Mais il est important de les répertorier afin de surveiller leur évolution et de réaliser des duplicatas le cas échant.


Lancement de la numérisation et contrôle des vues
Une fois la totalité des microfilms contrôlée et le CCTP rédigé, il ne reste plus au prestataire qu’à prendre en charge ce fonds de microfilms. Il commence la numérisation par les bobines test pour que nous trouvions ensemble le meilleur ajustement entre nos recommandations et les possibilités du scanner. Cette phase de test permet de placer le curseur au bon endroit en ayant le meilleur compromis, afin de valider le rendu que nous souhaitons en fonction des caractéristiques des documents reproduits.
À la suite de la validation des bobines de test, le prestataire peut rentrer en phase de production. Il va donc appliquer le même niveau d’améliorations sur les autres bobines de la même typologie que celles rencontrées durant le test. La phase de production peut prendre plusieurs semaines pour ensuite nous livrer les numérisations sur un serveur FTP pour les contrôler.
Le contrôle de la livraison est elle aussi une étape chronophage mais importante, qu’il ne faut pas négliger. Cependant, il faut distinguer deux phases de contrôle. Une première phase est le contrôle des paramètres techniques des images, défini dans le cahier des charges, la deuxième phase est le contrôle visuel de ces numérisations.
Pour la première phase du contrôle, nous avons opté pour Adobe Bridge qui permet de voir si les images d’un lot ont des paramètres techniques en commun et quelle est leur valeur. Cette action prend quelques secondes par dossier, elle peut donc être bouclée rapidement mais elle doit être faite sur les vues de consultation ainsi que sur les vues d’archivage.
Pour le contrôle visuel, la difficulté est tout autre, car celui-ci prend beaucoup plus de temps et doit être fait rigoureusement, même si dans notre cas, nous l’avons effectué uniquement sur les vues de consultation. Durant ce contrôle visuel, nous avons procédé en regardant avec attention plusieurs vues, dont celles comprenant les chartes en début de microfilm afin d’évaluer au mieux le contraste et la netteté. Ensuite, il est important de repérer des défauts importants tel qu’un nouveau cadrage sur une vue ou de mauvaises découpes pouvant comporter une partie de deux vues différentes. Nous avons aussi procédé par échantillonnage en regardant d’autres vues en plein écran pour juger de la netteté avec l’image en taille réelle.
Notre attention s’est portée aussi à vérifier si les consignes de numérisations ont été respectées pour optimiser le rendu visuel sur des cotes spécifiques, telles que celles comportant des enluminures ou illustrations avec une variation des niveaux de gris devant se percevoir. Mais aussi avec l’ajout d’accentuation permettant une lecture plus aisée des annotations. Il est également important de prendre en compte que les paramètres de numérisation qui découlent des consignes se font uniquement à la bobine ; il n’est pas vraiment possible d’ajuster chaque vue de la bobine en fonction du rendu souhaité. Il faut donc trouver le bon équilibre entre ces différents paramètres tout en gardant à l’esprit qu’une lecture aisée est le critère principal. La livraison peut aussi comporter des fichiers corrompus : ils présentent en général un bug visuel (partie entièrement noire, glitch de pixel, etc…) ou même parfois n’affichant aucun aperçu de l’image, mais uniquement l’icône de fichier. Les images corrompues sont assez fréquentes dans une telle masse d’images, elles peuvent être dues à différents types de problèmes et ne nécessitent parfois pas une re-numérisation de la bobine, contrairement aux autres problèmes visuels pouvant affecter les fichiers image. Un fichier corrompu peut se créer à plusieurs stades de son processus, de l’export généré par le logiciel de capture jusqu’au téléchargement depuis le serveur FTP du prestataire sur nos espaces de stockage. Le problème est donc mineur, un nouveau dépôt par le prestataire ou téléchargement permet de résoudre ce problème de fichier corrompu.
Une fois ce contrôle des paramètres techniques et visuels effectué, des reprises par le prestataire sont souvent nécessaires afin de corriger les erreurs majeures ou mineures constatées. Ces reprises permettent aussi de réajuster la numérisation de certaines bobines pour obtenir le résultat attendu. Mais parfois, la qualité de la reproduction sur le microfilm ne permet pas d’obtenir un meilleur résultat, et dans ce cas, il faut se rapprocher au mieux de la qualité attendue sans pour autant sacrifier la lecture du contenu intellectuel.
Conclusion
Après avoir validé les reprises selon nos attentes, un retour du fonds documentaire peut être organisé. Un pointage est bien sûr indispensable afin de s’assurer qu’aucun microfilm ne se soit perdu en route. Un deuxième lot de numérisation de microfilms a été lancé l’année suivante. Dans celui-ci, nous avons inclus les microfilms des manuscrits ayant déjà bénéficié d’une numérisation directe ainsi que d’autres n’ayant pas eu cette chance tels que les incunables, les archives anciennes de la faculté de médecine ainsi que des fonds de la BU Lettres dans une moindre mesure.
Ce projet de numérisation a été l’occasion de revoir la conservation des microfilms, notamment par l’acquisition de nouveaux meubles de stockage plus adaptés, en plus du reconditionnement des bobines.
Ce projet s’est donc étalé sur trois années au travers de deux lots de numérisation et a permis d’enrichir grandement notre bibliothèque numérique avec plusieurs centaines d’ouvrages, surtout de manuscrits essentiellement de l’époque médiévale, dont certains ne pourront pas passer en numérisation directe avant plusieurs années. Cette opération était donc nécessaire pour donner accès aux chercheurs du monde entier aux riches collections conservées dans les BU de Montpellier.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Benjamin Sandri (21 novembre 2024). La numérisation des microfilms des BU de Montpellier : un projet au service de la valorisation. Ex Bibliotheca. Consulté le 14 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/134fj