Ex Bibliotheca, genèse d’une exposition

Ex Bibliotheca, les vies secrètes du livre est une exposition des ateliers patrimoniaux du Service de coopération documentaire interuniversitaire de Montpellier (SCDI) dont les métiers sont au cœur du sujet. Présentée au public le 4 octobre 2023 dans le cadre de la Fête de la science, cette exposition, composée notamment de 9 panneaux, est accompagnée d’un livret, et bénéficie également d’une déclinaison virtuelle.
La réalisation de l’exposition est le fruit de plusieurs mois de travail durant lesquels les membres de l’atelier de conservation-restauration et de l’atelier de numérisation–photographie ont eu pour objectif premier de présenter leurs métiers et les enjeux quotidiens qu’ils rencontrent. Mais aussi d’évoquer des missions parfois méconnues du public et pourtant essentielles dans la gestion du patrimoine écrit et graphique.
C’est en 2021, alors que le SCDI vient tout juste d’être créé, que démarre le projet. Ce nouveau chapitre dans la vie des deux ateliers qui existent dans le paysage universitaire montpelliérain depuis la fin des années 19701 est l’occasion de valoriser le travail réalisé depuis de nombreuses années au service des collections patrimoniales conservées dans les bibliothèques universitaires.
Dans la continuité de l’exposition réalisée en 2010 qui se concentrait uniquement sur l’atelier de conservation-restauration, il s’agit cette fois d’étendre le périmètre aux ateliers patrimoniaux dans leur ensemble, par la découverte de métiers passionnants qui allient technique et réflexion, bien peu courants dans le paysage universitaire français. En outre, les fortes évolutions en conservation-restauration une dizaine d’années après, tant au niveau des méthodes de travail que de la déontologie, nécessitent une actualisation auprès du public.
C’est cette volonté forte de raconter ce qui arrive aux livres, et plus largement aux documents qui nous sont confiés, quand ils ne sont ni en réserve, ni consultés, ni exposés, qui guide les premiers échanges et donnera plus tard le titre évocateur Ex Bibliotheca, les vies secrètes du livre. Au-delà de la présentation des métiers exercés au sein des ateliers, l’intention est de donner un aperçu des différentes compétences mises en œuvre et des principes déontologiques qui sous-tendent chaque intervention menée. La complémentarité des acteurs est aussi mise en avant, comme pour mieux souligner ce qui nous paraît évident au quotidien, mais peut être sous-estimée d’un point de vue extérieur.
Il est par ailleurs rapidement décidé que cette exposition serait à destination d’un large public, accessible à des scolaires à partir de la fin du collège, et itinérante afin de multiplier les points de rencontres dans l’espace et le temps, voire de compléter d’autres expositions consacrées aux collections, comme un pas de côté, un autre regard sur le ou les biens exposés.
Créer un univers pour dépoussiérer l’image des métiers liés au patrimoine
Le sujet et les objectifs définis, le défi majeur est de trouver une forme adéquate et attrayante qui fera mouche auprès du public cible. Après avoir envisagé différentes pistes, nous choisissons de nous inspirer de genres ayant produit, entre autres, de beaux succès littéraires, à savoir le merveilleux et le fantastique médiéval. Ces univers nous permettent d’utiliser des éléments graphiques, parfois historiques, qui renforcent le sentiment de découverte, d’introduction à un nouveau monde et à des métiers un peu mystérieux : carte de l’aventure du livre, avatar spécifique pour chaque partie, logo de l’exposition réutilisant une enluminure issue d’un manuscrit de la bibliothèque historique de médecine, manicule…
Sans trop verser dans un imaginaire qui prendrait le pas sur le propos, les références au fantastique et au merveilleux sont disséminées dans les textes et systématiquement dans les titres de chaque partie se référant aux différentes facettes de nos métiers. Ainsi les principes de conservation préventive et curative sont-ils présentés sous la forme de questions métaphoriques, la photographie et la numérisation introduits de façon imagée, tout comme le plan de sauvegarde, plan ô combien important pour les institutions patrimoniales dont le titre, Stratégie contre le chaos, est volontairement dramatique.
Le décor planté, chaque membre des ateliers s’est plus ou moins appuyé sur une narration empreinte de cet univers pour rédiger les textes, expliquer clairement les notions essentielles en un minimum de phrases, le tout accompagné de photos de chantiers réalisés aux ateliers.
Structurer le propos
Dès le départ, les différents médias de l’exposition sont prévus (panneaux, livret, site web), ainsi que leur réalisation respective sur plusieurs années, la priorité étant de produire huit panneaux, véritable colonne vertébrale d’Ex Bibliotheca.
Les premiers échanges permettent de déterminer le thème de chaque panneau et de répartir les textes entre une ou plusieurs personnes, mais aussi de concevoir l’articulation générale. Chaque panneau doit pouvoir être lu dans n’importe quel ordre (à l’exception du panneau introductif) et tenir un propos intelligible par le plus grand nombre. Notre idée est avant tout de présenter tous les aspects de nos missions qui nous paraissent importants de transmettre au public, aspects qui s’entremêlent et se répondent, et sont au cœur de nos actions.
À ces huit panneaux, qui constituent tout autant d’entrées dans l’exposition, est ajoutée une représentation plus graphique du monde dans lequel nous souhaitons plonger les visiteurs, et qui prend naturellement l’aspect d’une carte.

Inspirée par la fameuse Carte du Maraudeur aperçue dans les films adaptés de la saga Harry Potter, cette carte illustre les « voyages » du livre en dehors de son environnement commun qu’est la bibliothèque, mais aussi les relations étroites entre différents lieux et services qui œuvrent à sa conservation et à sa valorisation. L’usage de symboles et leur situation sur la carte permet d’associer les autres panneaux à cette aventure, rappelant au passage par exemple que la conservation préventive est autant assurée à l’atelier de conservation-restauration mais est aussi un principe fondamental dans les réserves.
Dans cette même thématique de prévention, trois vitrines sont imaginées et réalisées par les conservatrices-restauratrices en complément des panneaux. Elles mettent en scène une boite de conservation, un passe-partout et un lutrin d’exposition, colorés en rouge à cette occasion. Les textes explicatifs détaillent l’utilité et la nécessité de chaque objet, chacun introduit par un sort magique de la saga Harry Potter (Expecto Patronum pour la boite de conservation) tel un clin d’œil assumé à cet univers magique.
Enfin, un montage vidéo rassemblant divers films produits en amont pour la page Facebook Conserver & valoriser permet de donner corps aux actions et principes énoncés dans l’exposition. Bien souvent les interventions sur les documents patrimoniaux sont perçues sous la forme d’« avant/après » parfois spectaculaires, reléguant les gestes et les étapes nécessaires à l’arrière-plan et qui pourtant sont essentiels au résultat recherché. Tour à tour les visiteurs peuvent donc assister au retrait d’un adhésif armé (le cauchemar des conservateurs-restaurateurs), à la numérisation d’un imprimé, à la fabrication d’une colle d’amidon ou bien à la reproduction d’une carte ancienne.




Et c’est après de longs mois de travail et d’échanges avec le graphiste que l’exposition physique est présentée pour la première fois au public en octobre 2023 sur le site Saint-Charles de l’Université de Montpellier Paul-Valéry (UMPV).


Des médias complémentaires
Le livret est conçu en parallèle de l’exposition physique. Il permet une réflexion de fond sur les opportunités offertes par ce format facilement transportable d’une part, et qui requiert un véritable parcours de lecture d’autre part.
En effet, le format physique relié constitue un accès moins contraint dans l’espace et propose des modalités de consultation plus flexibles. Là où on accordera quelques minutes à la lecture de panneaux d’exposition, le plus souvent debout dans un lieu précis, le livret pourra tout autant être feuilleté pour prendre rapidement connaissance du contenu, ouvert à un chapitre particulier ou bien lu à tête reposée en dehors du contexte de l’exposition. Surtout la quantité de texte et d’images peut varier, et dans notre cas, augmenter afin de proposer une expérience différente.
En s’appuyant sur le texte déjà existant, le chemin de fer du livret est construit pas-à-pas, au gré des idées nouvelles et du contenu qui n’avait pas résisté à l’exercice de synthèse réalisé pour les panneaux. En résultent divers ajouts qui étoffent considérablement le contenu de base : lexique, présentation des ateliers en introduction, du plan de sauvegarde des biens culturels et de l’archivage pérenne des données numériques, alchimie des livres. La partie consacrée à la conservation-restauration bénéficie notamment d’une introduction mais surtout d’un texte remanié et plus détaillé qui rappelle les grands principes éthiques et déontologiques de la profession.
Ce travail conséquent, et par moments de longue haleine, est l’objet de débats et de réflexions sur les pratiques et leurs évolutions, sur l’importance des notions à transmettre et les problématiques rencontrées par chacun dans un contexte collaboratif complexe. Personnellement, ces échanges ont contribué à mieux comprendre les missions de mes collègues conservatrices-restauratrices ainsi que leur démarche professionnelle.
Mais cette période pourrait aussi s’intituler « Où nous découvrons le pouvoir des ciseaux et du papier pour communiquer avec le graphiste », un aspect du projet abordé dans la partie suivante.
Le livret est finalisé en septembre 2022, l’impression assurée par l’imprimerie de l’Université de Montpellier Paul-Valéry dans un format « portefeuille » pour un total de 44 pages richement illustrées que nous distribuons aux étudiants, aux enseignants et à toute personne qui visite les ateliers patrimoniaux.


Quelques mois plus tard, le chantier de l’exposition virtuelle est lancé avec pour objectif d’aboutir à un site web indépendant, offrant d’autres possibilités d’accès et d’enrichissement.
Les paramètres techniques étant moins maîtrisés que ceux du livre, cette étape du projet global est appréhendée de façon hétérogène par l’équipe. Les principaux enjeux sont de proposer une navigation attractive, des animations en phase avec l’univers choisi, du contenu vidéo et évidemment des liens hypertextes internes (chaque terme disposant d’une entrée dans le lexique) et externe (« Pour aller plus loin »).
Nous décidons de continuer le projet avec le même graphiste qui a conçu les panneaux et le livret dans un souci de continuité. Mais la création du site web demande d’autres compétences, d’où la nécessité de faire appel à un motion designer pour assurer les animations et un développeur web qui construira le site.
Quelques séances de travail préparatoires en interne sont indispensables pour décider de l’architecture générale du site et identifier les animations souhaitées afin de préciser notre demande auprès des prestataires. Sont également évoqués l’adaptation du site à différents terminaux de consultation (ordinateur, tablette et smartphone) et la possibilité de diffuser la version anglaise du contenu sur le même site de préférence. La mise en forme d’une carte mentale rassemblant ces informations sert ainsi de base aux échanges qui suivent.
Entre-temps, une date de présentation de l’exposition physique est retenue, en accord avec les directions des deux universités de Montpellier. Souhaitant que l’exposition virtuelle soit également prête au moment de l’inauguration, nous mettons en place un rétroplanning sur 9 mois afin de déterminer les grandes lignes du chantier et les réunions à venir dans un contexte de forte activité au sein des ateliers patrimoniaux.
L’essentiel du site web est rapidement déterminé, seules quelques options de navigation et de disposition demanderont d’y revenir plusieurs fois, notamment par manque de compréhension entre les différents acteurs. D’où l’intérêt de désigner auprès des prestataires un interlocuteur unique dont les compétences ou les appétences pour le numérique permettent une communication relativement fluide, particulièrement lors de la phase de test et le suivi des corrections des bugs repérés avant livraison finale.
Des collaborateurs multiples
Si au commencement le projet repose sur les cinq membres des ateliers patrimoniaux, la directrice du SCDI de Montpellier et le graphiste choisi, la réalisation des différents supports et la présentation de l’exposition physique requièrent, à différents moments, la collaboration avec d’autres acteurs universitaires ou bien d’autres prestataires.
Bénéficiant d’une imprimerie sur le campus, c’est tout naturellement que nous nous tournons vers leurs services pour imprimer les panneaux roll-up au format 2.20 m x 0.90 m (le panneau de la carte, plus grand, est confié à un prestataire externe) et le livret. Côté vitrines, les conservatrices-restauratrices s’appuient sur leurs compétences propres pour la conception et la réalisation des objets exposés, tandis que la vitrine en plexiglas qui les abrite et le socle en bois, tous deux sur mesure, requièrent le savoir-faire de deux artisans.
Quant à la réalisation du site web Ex Bibliotheca, elle fait appel au service informatique du SCDI qui administre et héberge divers sites web de valorisation du patrimoine écrit et graphique des universités de Montpellier depuis de nombreuses années. L’hébergement sur les serveurs du SCDI étant la seule option envisagée, la responsable du service et l’administrateur système et réseaux sont associés au démarrage du chantier, et lors de l’implémentation du site final.
Comme indiqué plus haut, nous travaillons avec trois prestataires durant cette étape, chacun intervenant dans leur domaine de compétence respectif. La réunion de lancement permet de mieux cerner les interdépendances au sein du projet et l’enchainement privilégié des opérations : la validation du graphisme général et spécifique (carte, menu, contenus additionnels), ainsi que la validation de toutes les animations, sont indispensables avant de passer au développement. Ces contraintes exigent un suivi renforcé afin de tenir les délais.
Enfin, le transport des différents éléments de l’exposition physique (panneaux, vitrines et installation vidéo) est pris en charge par le vaguemestre du SCDI qui permet le transfert du matériel du campus Route de Mende au site Saint-Charles de l’Université de Montpellier Paul-Valéry, situé à quelques kilomètres. Un confort non négligeable la veille de l’inauguration, où l’installation est assurée par les membres des ateliers en concertation avec le personnel chargé de la logistique.
Tout au long des trois années de développement et de réalisation des expositions Ex Bibliotheca, l’équipe s’appuie sur un membre chargé d’échanger avec les prestataires, de suivre les avancées et de synthétiser les demandes de corrections. J’assure cette fonction essentielle au tout début du projet, toutefois sans réelle expérience.
Si la phase « panneaux » est relativement simple, le suivi gagne en complexité durant la conception du livret dont le contenu, plus ambitieux comparé aux panneaux, rallonge significativement la période d’échanges avec le graphiste. Le travail sur l’organisation des pages et la rédaction des compléments tel que le lexique, voire la refonte de la partie consacrée à la conservation-restauration influent à la fois sur le fond et la forme. Ce qui nous amène un jour à littéralement découper la proposition du graphiste pour réagencer certaines parties ou certains paragraphes et qui s’avère beaucoup plus efficace qu’une explication détaillée par mail.
En effet les relations sont le plus souvent à distance et asynchrones. Seules quelques étapes clés, notamment de présentation de maquettes, sont l’objet de réunion présentielles. La communication peut donc être particulièrement laborieuse lors de la formulation d’une correction par écrit, ou sur des points qui nécessitent un bref échange mais soumis à la disponibilité des acteurs concernés. Il faut donc jongler entre le mail, le téléphone, la réunion à distance ou en présentiel selon les problématiques, tout en assurant la continuité des actions engagées et celles à exécuter.
Une diversité des modalités d’échanges accentuée pendant la réalisation de l’exposition virtuelle, suivi cette fois par Benjamin Sandri, avec qui je travaille étroitement à l’atelier de numérisation-photographie. Cette étape cumule à la fois un environnement technique particulier, une multiplicité des prestataires2, la coordination avec les collègues du service informatique et une date de livraison précise, contrairement au démarrage du projet en 2021.
Faire vivre l’exposition au-delà du public universitaire
La présentation au public de l’exposition3 marque la fin d’un chapitre dans le projet global. C’est un temps dirigé vers l’extérieur, où les contacts avec les différents types de public sont parfois source de rendez-vous ultérieurs, notamment avec les professionnels des universités. C’est surtout un test en conditions réelles qui nous permet de valider certains choix et de réfléchir à d’autres options en vue de l’itinérance.
À noter que dans le cadre de l’exposition, trois conférences sur le patrimoine écrit et graphique, et une journée d’étude consacrée au PSBC (Plan de sauvegarde des biens culturels) sont organisées4. Une valorisation inédite pour notre tout jeune service interuniversitaire qui pourrait être l’objet d’un autre article.
Avec pour intention de sensibiliser un large public aux « vies secrètes du livre » telles que nous les connaissons au SCDI de Montpellier, l’enjeu est de dépasser ce premier cercle en termes d’audience. Nous continuons donc à travailler à la fois sur une proposition d’exposition itinérante avec toutes les modalités pratiques et administratives que cela implique, ainsi que sur la traduction du site web Ex Bibliotheca en anglais et en espagnol. En parallèle, formations, lectures et rencontres professionnelles nourrissent directement5 ou indirectement ce projet de valorisation de nos missions.
Le schéma ci-dessous représente les différentes étapes du projet et leur déroulement depuis 2021, ainsi que les chantiers en cours.

Cette exposition a été réalisée par les ateliers patrimoniaux du Service de coopération documentaire interuniversitaire : Audrey Cogoluègnes et Benjamin Sandri (atelier de numérisation-photographie), Anne-Sophie Gagnal, Laury Grard, Lise Marandet et Audrey Monet (atelier de conservation-restauration), et Hélène Lorblanchet, directrice du SCDI.
- Les ateliers patrimoniaux faisaient partie de la Bibliothèque interuniversitaire de Montpellier (BIUM), et notamment du Service du patrimoine écrit et graphique (SPEG) de 2015 à 2020. ↩︎
- Au même moment, Benjamin doit également assurer le suivi des impressions des panneaux et du livret auprès de l’imprimerie de l’Université de Montpellier Paul-Valéry et du prestataire privé, mais aussi préparer la traduction anglaise. ↩︎
- Du 5 octobre au 8 décembre 2023. ↩︎
- Retransmissions disponibles sur notre chaine YouTube « Conserver & Valoriser ». ↩︎
- La formation WordPress suivie à l’automne 2024 vise à gagner en autonomie dans l’administration du site de l’exposition virtuelle. ↩︎
Crédits photos : SCDI de Montpellier, Halinka Zygart – UMPV.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Audrey Cogoluegnes (10 décembre 2024). Ex Bibliotheca, genèse d’une exposition. Ex Bibliotheca. Consulté le 14 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/134fk