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François Rabelais et l’École de médecine de Montpellier – chapitre 2

Doctorat de Rabelais, le 22 mai 1537. Registre des actes, 1423-1559 [S 5, fol. 33]

Le second séjour à Montpellier (1537-1538)

Suscepi gradum doctoratus sub D. Antonio Gryphio, in praeclara medicinae facultate…

J’ai pris le grade de doctorat sous maître Antoine Gryffy, dans l’illustre Faculté de médecine…

De 1532 à 1537, Rabelais est à Lyon, où il mène de front une carrière de « médecin hospitalier » à l’Hôtel-Dieu, et une carrière d’écrivain très active : en quelques années, il publie non seulement Pantagruel et Gargantua mais aussi des ouvrages scientifiques, dont l’édition de 1532 d’Hippocrate et Galien, et des Almanachs. Il effectue également un premier séjour à Rome avec le cardinal Jean du Bellay.

Au printemps 1537, il choisit cependant de revenir à Montpellier et d’y achever ses études de médecine en prenant les grades qui lui manquent encore : licence et doctorat. L’affaire est rondement menée : il s’acquitte le 3 avril 1537 de ses droits (quatre livres) pour le grade de licencié en médecine, et il est reçu docteur le 22 mai, sous la présidence du doyen de l’université, Antoine Griffy.

L’examen de licence consiste en deux séries d’épreuves : la soutenance de quatre thèses, puis, une semaine plus tard, à l’église Notre-Dame, la soutenance à huis clos et pendant quatre heures de deux thèses dont le sujet est connu la veille, suivie de questions par chaque maître à tour de rôle, sur toutes les autres parties de la médecine. Outre les droits statutaires et les jetons de présence de chacun des membres du jury, le candidat doit payer les frais d’illumination de la chapelle par les cierges, le vin blanc, les gâteaux et les fruits qui circulent dans l’assistance. Ensuite, il va recevoir la licence des mains de l’évêque de Montpellier, puis offre un banquet.


Un acte de licence à la Salle-l’Evêque de Montpellier au XIIIe siècle, huile sur toile, 1925
Faculté de médecine de Montpellier-Nîmes, Université de Montpellier

Les épreuves du doctorat sont finalement plus simples, consistant en six « oraux » de deux heures, répartis sur trois jours. Mais le rite est encore plus pompeux, et cher pour l’impétrant – ce qui peut d’ailleurs encourager certains à prendre leur diplôme ailleurs : le nouveau docteur est conduit en procession, en musique et avec sonnerie de cloches, jusqu’à l’autel de l’église Saint-Firmin où s’effectue la remise solennelle des insignes du grade : bonnet carré, livre d’Hippocrate, anneau et ceinture dorée. Ensuite, il offre un banquet, d’autant plus somptueux qu’il vise une chaire de professeur.

Voici comment Félix Platter décrit la promotion au doctorat de Guillaume Héroard en 1555 : « Le docteur Saporta présida la cérémonie dans l’église de Saint-Firmin ; elle se faisait en grande pompe et au son de l’orgue. Le récipiendaire prononça son discours de remerciement en cinq ou six langues, entre autres en allemand, bien qu’il ne sût point parler cette langue. On le promena solennellement par la ville, au son des fifres, et avec un panache de soie sur la barrette. On portait au cortège des tiges de fenouil ornées de figurines de sucre. Au retour eut lieu une belle collation avec abondante distribution de dragées : il y en avait plus d’un quintal. L’hippocras était délicieux ; la collation fut suivie de danses. » (op. cit., p. 99)

 

Doctorat de Rabelais, le 22 mai 1537. Registre des actes, 1423-1559 [S 5, fol. 33]

Beaucoup plus sérieux est l’enseignement que le nouveau docteur est ensuite tenu de dispenser aux étudiants, surtout s’il se destine à une carrière professorale. Rabelais prodigue cet enseignement pendant la période du « grand ordinaire » (du 18 octobre 1537 au 14 avril 1538). Il choisit d’interpréter le livre des Pronostics d’Hippocrate, en grec ou plutôt sans doute en latin d’après le texte grec, ce qui était plus abordable pour ses auditeurs : « D. Franciscus Rabelesus pro suo ordinario, elegit librum Pronosticorum Hippocratis, quem graece interpretatus est » (Registre des leçons, S 4 fol. 36).

“Pour son ordinaire, maître François Rabelais a choisi
le livre des Pronostics d’Hippocrate, qu’il a interprété en grec”
Registre des leçons de l’université, 27 septembre 1537 [S. 4, fol. 6]

Ce cours connaît un grand succès comme en témoigne son ami Jean de Boyssoné dans une lettre à Scève en novembre 1537: « Nous nous sommes rendus à Montpellier, où Rabelais présentait le livre des Pronostics d’Hippocrate devant un large auditoire[1] ». Le public, cela ne fait pas de doute, est encore plus nombreux qu’en 1531 : entre-temps, Rabelais est non seulement devenu docteur, mais il a aussi publié plusieurs livres à succès, il a effectué deux voyages à Rome et il est un familier des grands humanistes.

En parallèle à son cours, et non successivement comme en 1532, il publie dès 1537 une édition de ces Pronostics, récemment redécouverte[2]. La préface de l’ouvrage est adressée aux étudiants de Montpellier et apporte un éclairage essentiel sur la pensée médicale de Rabelais : tout est dans le texte d’Hippocrate, dont l’édition s’attache à collationner les différentes versions pour en approcher au plus près la vérité originelle, dans une démarche caractéristique des humanistes. L’étude des signes annonciateurs de la maladie est essentielle, mais elle n’a de valeur que si elle est exacte, précise et fidèle au texte d’Hippocrate. C’est tout l’objet des leçons de Rabelais.

La présence de Rabelais à Montpellier laisse quelques autres traces dans les archives : il commente une leçon d’anatomie le 9 janvier 1538 (S 19, fol. 382v), parraine Nicolas Rebier, de Besançon, le 30 novembre 1537 (S 19, fol. 160v) après avoir présidé son baccalauréat (2 janvier 1537)[3] et Guy Bellay de Lyon le 13 août 1539 (S 19, fol. 175r).

Une leçon d’anatomie en frontispice
de l’ouvrage d’André Vésale,
De humani corporis fabrica libri septem, 1555

Durant ce second séjour, il retrouve maîtres (Fontanon, Schyron, Falcon) et condisciples comme Rondelet. Il reprend sans doute avec celui-ci et l’évêque Pellicier les séances d’herborisation. Rabelais ne fera aucune découverte médicale majeure, mais la médecine tient une place importante dans toute son œuvre. La médecine relève alors de la philosophie, voire de la morale (l’état de santé est lié au mode de vie), et de nombreux thèmes, abordés notamment dans le Tiers Livre publié en 1548, témoignent de l’adhésion de notre auteur aux thèses des médecins platoniciens : principe de la vie et de la génération, nature de la femme, rôle de l’inconscient et du rêve. Le personnage de Rondibilis est à cet égard au moins autant le porte-parole de Rabelais que l’incarnation de son ami Rondelet.

Le second séjour montpelliérain semble démontrer que Rabelais a, un temps, envisagé de devenir professeur de médecine : son retour à Montpellier, l’obtention des deux grades de licence puis doctorat, le cours dispensé l’année suivante, sont autant d’indices convergents. Rondelet, revenu également à Montpellier en 1537 après un séjour à Paris pour y passer son doctorat la même année, suivra ce parcours traditionnel et obtiendra une chaire de professeur (« docteur régent ») en 1545.

Pourtant, Rabelais quitte Montpellier en 1538 sans jamais, pour autant qu’on puisse le savoir, y revenir.


[1] « Monspessulum appulimus, ubi Rabelaesus frequenti auditorio librum Prognosticarum Hyppocratis praelegebat », cité par V. L. Saulnier, « Médecins de Montpellier au temps de Rabelais », in Bibliothèque d’Humanisme et de Renaissance, 1957, p. 466

[2] Par Claude La Charité, qui en prépare l’édition scientifique.

[3] Registre des actes S 5 fol. 31r. Il y a incohérence entre la date de la mention dans le registre des matricules (30 novembre 37) et celle du baccalauréat (2 janvier 1537). Ce dernier figure cependant bien au folio 31r du registre des actes, soit avant la mention au fol. 33r du doctorat de Rabelais, le 22 mai 1537.

Lien vers Chapitre 1


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Hélène Lorblanchet (10 avril 2025). François Rabelais et l’École de médecine de Montpellier – chapitre 2. Ex Bibliotheca. Consulté le 23 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13q39


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