Un PSBC du numérique pour le SCDI ? – 1

La première fois que j’ai entendu parler de « PSBC des collections numériques », c’était début 2024, à l’occasion d’une formation que je proposais au Centre Régional de Formation aux Carrières de Bibliothèque Médiad’Oc, sur la numérisation patrimoniale. Alors que j’échangeais avec Jocelyne Deschaux-Beaume, directrice de Mediad’Oc1, sur le programme de cette formation2, elle m’a suggéré de prévoir un point dans mon intervention sur ce « Plan de sauvegarde des collections numérisées », ou « PSBC du numérique ».
J’avoue avoir été un peu surprise -je n’avais jamais vraiment pensé au « PSBC du numérique », puis surprise de ma propre surprise : puisque les collections numérisées sont soumises à toutes sortes de risques de sinistres, il faut évidemment préparer notre réponse à ces risques, sous peine de perdre, le moment venu, des années de travail et des ressources pas toujours remplaçables. Ce qui s’appelle enfoncer des portes ouvertes ? Certes, mais on a tendance à considérer un peu trop facilement que le nécessaire est fait, ou du moins on le suppose avec optimisme et pas mal de méconnaissance technique (que je reconnais bien volontiers pour ma part), puisqu’après tout, n’est-ce pas, on sauvegarde, souvent sur des serveurs multiples, et dans le meilleur des cas on a mis en place une politique de préservation/archivage pérenne.
Mais c’est bien sûr confondre un peu vite politique générale de préservation d’une part et plan de sauvegarde et de réponse à l’urgence d’autre part… ce que l’on se serait gardé de faire pour les collections physiques !
Ce constat m’a entraînée à explorer un peu le cyberespace pour voir qui d’autre avait pensé avant à ce « PSBC du numérique » : à vrai dire, apparemment pas grand monde en France (ni en français) ! Et de fil en aiguille, puisque notre Service de coopération documentaire interuniversitaire produit des ressources numérisées et les propose au public dans une bibliothèque numérique patrimoniale, j’ai envisagé l’élaboration d’un PSBC pour les collections numérisées par la BIU puis le SCDI de Montpellier.
Sitôt dit… pas sitôt fait ! Comme pour tout PSBC, c’est une démarche de longue haleine, complexe, aux étapes multiples, et je vous propose d’en témoigner dans ce carnet, au fil d’articles successifs, où je vous ferai part de nos découvertes, de nos avancées, de nos déconvenues sans doute parfois. J’espère arriver un jour à un article intitulé : « Ça y est, c’est fait ! » même si on sait qu’un PSBC est toujours à remettre sur le métier et à faire évoluer.
Aujourd’hui, le premier de ces articles est consacré à une tentative de définitions et « d’état de l’art » des ressources existantes sur le sujet – ou plus modestement, de proposition de quelques pistes.

Le plan de sauvegarde des biens culturels
Le Plan de sauvegarde des biens culturels (PSBC) est « un document opérationnel, à disposition du personnel des établissements patrimoniaux et des services de secours, pour faire face, avec diligence et efficacité, à des situations de péril pour les biens d’intérêt patrimonial. »3
De nombreuses ressources développent ce qu’est un PSBC et proposent des aides à sa rédaction ; des associations comme le Bouclier bleu France ou des organismes publics organisent des formations, publient des ressources en ligne, etc. L’incendie de Notre-Dame de Paris, en 2019, a bien malgré lui permis une meilleure prise en compte, par les professionnels et plus encore par les tutelles à tous niveaux, du risque réel encouru par les biens culturels qui forment notre patrimoine, et a provoqué une impulsion marquée à la rédaction de PSBC4.
Pourtant, ces ressources n’abordent de fait, au moins en France, que les biens matériels (immeubles, collections…), et uniquement eux : je n’ai en tout cas trouvé nulle part question5, de façon explicite et détaillée, des biens immatériels que sont les données numériques.
La valeur du numérique, et même sa valeur patrimoniale, sont pourtant assez reconnues pour qu’une attention importante soit portée à sa préservation.
La préservation des collections numériques
Comme le définit la Digital Preservation Coalition, « la préservation numérique désigne une série d’activités coordonnées nécessaires pour garantir un accès continu aux documents numériques aussi longtemps que nécessaire ». Cette définition est complétée dans la très intéressante Étude sur la préservation des bibliothèques numériques de l’ESR : vers la constitution d’une communauté de pratiques menée par le groupe de travail « Préservation numérique » de Collex-Persée et publiée en décembre 2023 : « Elle englobe toutes les actions requises de manière à maintenir l’accès aux objets numériques en dépit de la défaillance des équipements ou des changements ayant lieu au niveau technologique et organisationnel. Elle présuppose d’avoir suffisamment d’informations contextuelles sur les données (métadonnées) pour pouvoir les préserver et pour que la communauté d’utilisateurs puisse évaluer leur qualité, c’est-à-dire leur authenticité et intégrité ».
Outre ces définitions, la Digital Preservation Coalition a élaboré un manuel très riche sur le sujet, et traduit en français, sous le titre Guide pour la préservation numérique.

Illustration by Jørgen Stamp digitalbevaring.dk CC BY 2.5 Denmark
La BnF joue également un rôle important sur ces questions, tandis que pour les établissements relevant de l’enseignement supérieur, le CINES assure des missions d’archivage pérenne des collections. D’autres bibliothèques, notamment aux États-Unis, ont élaboré un « plan de préservation numérique » : citons parmi de nombreux exemples ceux des bibliothèques du Congrès ou de Harvard.
Ces ressources abordent les questions d’archivage pérenne et plus généralement de préservation des données numériques. Si les sinistres frappant les ressources et les bibliothèques numériques peuvent être évoqués, cela n’est cependant pas sous la forme d’un « document opérationnel » comme l’est le PSBC, comprenant non seulement l’analyse des risques, mais aussi la prévention, les méthodes de réponse à l’urgence, de retour à la normale, etc. Comme pour les documents physiques, l’élaboration d’un PSBC relève bien d’une politique plus générale de conservation mais constitue une démarche spécifique.

Illustration by Jørgen Stamp digitalbevaring.dk CC BY 2.5 Denmark
Quelques ressources sur la réponse aux sinistres
C’est en cherchant avec des mots-clés tels que « Digital disaster planning », « disaster recovery digital library systems », etc. que l’on va trouver des ressources plus proches de notre attente. En voici quelques-unes :
- Une bibliographie descriptive (2017) sur la question du « Digital disaster management » dans les bibliothèques. Elle liste une vingtaine d’articles qui traitent le sujet sous des angles différents.
- Somvir, Kumar V., Kaushik S., “The role of technology in disaster preparedness for digital collections in libraries” in IP Indian Journal of Library Science and Information Technology, 2023;8(2):88-92. À travers des études de cas et des recueils de bonnes pratiques, l’article souligne l’importance de la technologie pour diminuer les risques et assurer la continuité des données.
- S, Sivankalai; A, Virumandi; K, Sivasekaran; and M, Sharmila, “Disaster Recovery System and Service Continuity of Digital Library” (2021), Library Philosophy and Practice (e-journal) : De l’importance de la planification pour assurer la continuité et la récupération des bibliothèques numériques.
- Uzwyshyn, R., “Risk management and disaster recovery planning for online libraries” in Journal of Emergency Management, vol. 13, n°6, November/December 2015: panorama assez général.
Ces quelques exemples abordent mieux la question de la préservation des collections numériques en cas de sinistre, mais d’une façon qui reste souvent, il faut le dire, assez générale. D’autres s’intéressent aux sinistres qui peuvent atteindre les systèmes de technologie de l’information au sens très large, et, sans être inutiles, demeurent de ce fait assez éloignés des problématiques spécifiques des bibliothèques.

On constate au final une certaine rareté des ressources sur le sujet, surtout par comparaison avec les PSBC concernant le patrimoine physique : ce n’est pas tant, bien sûr, qu’on ne juge pas les ressources numérisées importantes, mais il faut bien admettre que leur développement est encore très récent (comparé à la longue histoire de certains documents, en tout cas !). En France, l’attention portée à la nécessité de rédiger des PSBC pour les collections patrimoniales est elle aussi assez récente, et s’est tout naturellement portée d’abord vers les collections physiques. Il faut également noter une difficulté, pour le bibliothécaire ou plus généralement le responsable de collections numériques : si les PSBC pour les collections physiques reposent largement sur ses compétences et celles des spécialistes de la conservation, ce n’est pas forcément le cas pour le PSBC du numérique, où il devra le plus souvent faire appel à d’autres spécialistes, et en particulier bien sûr à des informaticiens.
L’équipe du SCDI de Montpellier comprend des professionnels de profils variés : responsable de numérisation patrimoniale, conservateurs, informaticiens, sans oublier plusieurs personnes activement impliquées dans les activités du Bouclier bleu France et la rédaction (ou l’aide à la rédaction) de PSBC. Cela nous donne-t-il des atouts pour avancer dans notre projet ? Espérons-le !
Dans le prochain épisode, je vous raconterai donc comment nous allons « lancer le projet du PSBC » du numérique6. Nous espérons pouvoir avancer régulièrement, et j’ose évoquer, en croisant les doigts, un objectif de plan rédigé d’ici dix-huit mois, soit pour la rentrée 2026. Affaire à suivre !
- également présidente du Bouclier bleu France de 2015 à 2022 et aujourd’hui chargée de mission Formation au BbF ↩︎
- qui n’a finalement pas eu lieu ↩︎
- https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/securite-surete/Securite-et-surete-des-biens/plan-de-sauvegarde-des-biens-culturels ↩︎
- Cf. par exemple le rapport de l’IGESR de 2022, suivi par la circulaire du Ministère de la Culture du 2 février 2024 (note : MC/MG/MPDOC/2024-005 du 2 février 2024, publiée au Bulletin Officiel n°345 de février 2024 et la note du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche du 24 juin 2024 ↩︎
- merci de me signaler toute ressource que j’aurais manqué sur le sujet ! ↩︎
- pour reprendre textuellement la première des 10 étapes du guide du Bouclier bleu : Rédiger le plan de sauvegarde des biens culturels […] en 10 étapes). ↩︎
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Hélène Lorblanchet (20 mars 2025). Un PSBC du numérique pour le SCDI ? – 1. Ex Bibliotheca. Consulté le 23 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13ixi